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L’expression « frère » renvoie au sentiment d’appartenance à une communauté, institutionnalisée ou imaginaire

Histoire d’une expression. Du classique « frérot » au corse « fratè », du vieilli « frelot » au récent « reufré », vite devenu « reuf », nombreuses sont les variations pour nommer un ami si proche qu’il en vient à faire partie de la famille métaphorique du locuteur. Parmi cette nébuleuse d’appellatifs, soit les termes pour adresser son discours à l’autre en le nommant, « frère » fait aujourd’hui figure d’indétrônable dans le langage des plus jeunes au point de devenir un tic générationnel, agaçant ou réjouissant, c’est selon. S’il se croise facilement aux abords des lycées – « Ça va, frère ? » –, on le rencontre aussi dans les morceaux de musique récents, tel le titre de 2022 Chagrin d’ami, du rappeur Kemmler, qui commence par une crainte : « Et si mon frère tu m’abandonnes. » Comment expliquer cette effervescence contemporaine autour de ce mot si courant ?
Depuis l’indo-européen bhrater, le latin frater, dont est issu « frère », désigne tout autant le « frère de sang » que le « frère par alliance ». Au IXe siècle, le mot prend la forme de fradre ; c’est ainsi que Louis II dit « le Germanique », dans les serments de Strasbourg, le 14 février 842, promet loyauté à « meon fradre Karlo », c’est-à-dire à « mon frère Charles ». Il faut attendre deux siècles pour rencontrer le mot « frère » sous la graphie que nous lui connaissons.
En dépit de ses diverses formes au fil des siècles, le terme conserve sa polysémie et particulièrement sa signification métaphorique qui lui vient du latin. Le Dictionnaire historique de la langue française (Le Robert, 2022), qui fut dirigé par le lexicographe Alain Rey (1928-2020), explique que, dès l’origine, « frater s’employait aussi comme terme d’amitié ». Et de préciser que, « dans le système patriarcal ancien, le mot désignait les hommes appartenant à une même génération ». Le mot « père » pouvant renvoyer à la personne chargée du pouvoir, voire à la patrie, le frère excède d’emblée la cellule familiale pour revêtir des acceptions politiques, amicales et religieuses. Au XIIe siècle, le terme qualifie spécifiquement les membres de certaines communautés religieuses, et plus généralement les humains « en tant que créatures du même Dieu », selon le dictionnaire. Au XVIIIe siècle, les francs-maçons se surnomment ainsi les « frères trois points » et se réunissent dans des « fraternelles », tandis que les philosophes des Lumières s’approprient le vocable pour symboliser leur union autour de valeurs communes. En 1760, à propos de la marquise du Deffand, épistolière française, Voltaire écrit dans une lettre adressée à d’Alembert : « Elle aime les frères de tout son cœur, et comme je vous aime. »
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